Le dernier numéro de Villejuif Notre Ville, n°264, de septembre 2021, est mis sous le signe d’ « Une rentrée pleine d’espoir ».
L’édito de Pierre Garzon, maire de Villejuif, rappelle que « 565 000 euros ont été investis en travaux durant l’été dans les écoles et les crèches ». Plus loin (page 17) un « mot de » Julie Lambilliotte, adjointe en charge de l’Education et de l’Enfance, affirme que « l’urgence sanitaire est une raison supplémentaire de mener une politique ambitieuse et déterminée au service des enfants ». Son article est intitulé « Une rentrée ambitieuse ».
Tout cela est bel et bien. Qui n’est pas « ambitieux » pour ses enfants ? Qui ne formulerait pas des « espoirs » pour les plus jeunes ? Mais une fois cela dit, de quoi est faite concrètement cette « ambition » ? Sur quoi reposent ces « espoirs » évoqués par nos élus ?
Certes, le dispositif d’aide financière pour la rentrée (chèques rentrée scolaire) mis en place l’an dernier est reconduit cette année. Très bien. Mais « l’ambition » pour cette année et pour les années à venir repose, en fait, en un « dispositif innovant » qui « vise à mieux accompagner les enfants et les jeunes, de la naissance à l’insertion professionnelle, avant, pendant, autour et après le cadre scolaire ». Cela s’appelle une « Cité éducative ».
Qu’est-ce qu’une « cité éducative » ?
En 2019, par la circulaire du 13 février 2019, le ministère de l’Education nationale et le ministère de la Ville lancent un nouveau dispositif. Il concerne les villes relevant de la politique de la ville, sur la base des quartiers relevant de la politique de la ville.
L’objectif affiché : « Les Cités éducatives visent à intensifier les prises en charges éducatives des enfants à partir de 3 ans et des jeunes jusqu’à 25 ans, avant, pendant, autour et après le cadre scolaire » explique le document officiel. On appréciera au passage de copier-coller réaliser par le journal de Villejuif !
Concrètement il s’agit de mettre en place « une grande alliance des acteurs éducatifs » constituée des directeurs d’écoles, principaux de collèges, enseignants, parents d’élèves mais aussi amis, voisins, retraités, éducateurs, bénévoles, animateurs, mais aussi agents du CCAS, bibliothécaires, travailleurs sociaux, mais encore commerçants, créateurs d’entreprise, etc. La liste des « acteurs éducatifs » n’est pas exhaustive et l’on ne voit pas qui pourrait en être exclu.
Toutes ces personnes constituent « un écosystème d’acteurs » qui doit répondre à « une nouvelle méthode » pour construire une « continuité éducative ». Le tout, dans un esprit de « co-construction » précise Jean-Michel Blanquer, qui a fait ses preuves depuis cinq ans en matière de concertation…
Pierre Garzon aide Jean-Michel Blanquer à franchir un « nouveau cap »
Si les principes affichés peuvent séduire ou intéresser, cela ne suffit pas à comprendre réellement le dispositif proposé.
Le ministre Blanquer revendique ce dispositif et l’inscrit dans la continuité et la logique même de ses propres réformes. Après un rapide bilan de ce qu’il a initié dans l’Education nationale, il précise (toujours dans le même document) : « Notre conviction est qu’il faut franchir un nouveau cap, rassemblant à partir du collège et des écoles, tous les acteurs partageant les valeurs républicaines et prêts à contribuer ensemble à l’éducation des enfants et des jeunes, en lien avec leurs familles. C’est l’ambition des Cités éducatives. »
Et ce « cap », ce « nouveau cap » donc, c’est Pierre Garzon qui se propose de l’aider à franchir en annonçant la candidature de Villejuif pour ce dispositif. Ne voyant que les dizaines de milliers d’euros qui pourraient éventuellement être distribués dans ce cadre, Pierre Garzon semble toutefois ignorer les sérieux problèmes soulevés par ces « Cités éducatives ». « Cela peut représenter de quelques dizaines de milliers d’euros à plusieurs centaines de milliers d’euros, selon le projet », explique-t-il tranquillement face à des enseignants, représentant 21 des 24 écoles de la ville, venus manifester contre ce projet devant la mairie le lundi 20 octobre.
La question de la « gouvernance » et la mise à mal de l’Ecole
Pierre Garzon se veut rassurant et affirme que c’est la municipalité qui définit le fonctionnement réel de ce dispositif comme le contenu de ses actions. Il promet d’ailleurs de « nombreux temps d’échange et de concertation », indique Le Parisien (21 septembre 2021)
Ce n’est pourtant pas ce que le principal concepteur de ce dispositif affirme. Selon le ministre de l’Education nationale en effet, c’est évidemment l’Etat qui dirige, finance et évalue ces dispositifs. Alors que Pierre Garzon affirme que « pour la municipalité, ce projet ambitieux sera l’occasion également de relancer le Projet éducatif de territoire », Jean-Michel Blanquer assure qu’« A travers les cités éducatives, le gouvernement veut ainsi fédérer tous les acteurs de l’éducation scolaire et périscolaire dans les territoires qui en ont le plus besoin et où seront concentrés les moyens publics ».
Lequel a raison ? Il suffit de se reporter au premier rapport d’évaluation qui a déjà été rendu public pour comprendre que c’est bien le ministre de l’Education nationale qui dit le vrai en la matière.
Face aux expériences déjà menées, les syndicats d’enseignants se montrent pour leur part très critiques. Ils rappellent que ce dispositif vise, à terme, à remplacer dans les faits le réseau REP, d’ici la rentrée 2022, et à finalement diluer l’action pédagogique de l’école et de ses professionnels. Ainsi, de son côté le SNES affirme :
« Les cités éducatives s’inscrivent dans l’idéologie néolibérale des « territoires apprenants » qui décrètent que l’on peut apprendre et se former partout ailleurs qu’à l’école, ce qui participe à diluer l’importance d’un service public d’éducation de qualité. Les collectivités territoriales et les services de l’État (préfecture et rectorat) devraient les copiloter. « Une stratégie éducative ambitieuse et innovante » devrait être mise en œuvre avec une place de plus en plus importante du périscolaire et des collectivités au détriment de l’éducation nationale. Une « gouvernance » s’imposerait aux conseils d’école et conseils d’administration des collèges, minorant la place des personnels, et promouvant les associations de parents et des acteurs « partageant les valeurs républicaines », avec à sa tête le trinôme principal de collège – délégué du préfet – chef de service de la collectivité. »
C’est donc ce cap, ce « nouveau cap » dans une politique de mise à mal de l’école publique que Pierre Garzon entend allègrement aider à le franchir en s’inscrivant avec enthousiasme dans ce qui est dénoncé fortement par de nombreux enseignants et par des syndicats d’enseignants.
L’électoralisme au détriment du service public
Face à la réaction des enseignants – qui dans leur immense majorité critiquent fermement ce dispositif – on apprend le vendredi 24 octobre que « sous la pression, la mairie abandonne son projet de « cité éducative » », selon Le Parisien.
Le titre contient une réalité et une erreur. S’il s’agit bien de « son » projet, l’article semble plutôt indiquer qu’il n’est pas véritablement abandonné mais seulement ajourné. « Nous lancerons après les vacances de la Toussaint un vaste débat avec tous les acteurs de l’éducation pour refonder notre Projet Éducatif Local », annonce d’ailleurs le maire de Villejuif.
C’est là un bel aveu et un enseignement à tirer pour les villejuifois.
Comme souvent, comme trop souvent, avec le communisme municipal villejuifois, les concertations, les discussions ne viennent qu’après en avoir décidé. Elles ne viennent qu’une fois que tout est déjà posé.
Cet épisode de la « Cité éducative » en est le parfait exemple.
Mais plus généralement, on peut retenir deux choses :
D’une part, il est tout à fait saisissant de voir le décalage et la distance qui existent entre le maire, l’adjoint à l’Education, et le monde l’enseignement. Les enseignants, à travers leurs syndicats mais pas seulement ont depuis longtemps déjà alerté contre les dangers futurs de ces dispositifs.
Ce décalage est d’autant plus inquiétant que les documents officiels, facilement disponibles, indiquent et préviennent très clairement de l’ampleur des changements désirés et attendus grâce à ces dispositifs de Cité Educative :
« Le CNOE souhaite tout d’abord souligner que La Cité éducative n’est pas un dispositif, mais bien plutôt une démarche systémique et globale qui marque un nouveau cap des politiques éducatives à l’échelle d’un territoire. C’est un changement de paradigme qui bouscule tous les acteurs, car il invite chacun à sortir de son cadre de référence, à faire évoluer ses pratiques, à appréhender l’ensemble de la population de 0 à 25 ans dans sa globalité, et non plus en silo, comme dans les politiques publiques traditionnelles. […] Ce mode d’intervention structurant suppose donc le développement d’une culture nouvelle de partenariat conditionné par la volonté des parties à s’engager dans ce travail coopératif et collaboratif. »
D’autre part, il apparaît que Pierre Garzon fasse une nouvelle fois preuve d’un électoralisme qui a autrefois épuisé cette ville. Ayant tellement promis pendant les dernières élections municipales il s’obstine à ne voir que les quelques dizaines de milliers d’Euros éventuellement récupérés – avec lesquels il pourrait financer des associations « partenaires » du Parti communiste de Villejuif – et reste sourd aux critiques pourtant justifiées du monde enseignant.
Les villejuifois savent, qu’en d’autres temps, ils ont pu faire les frais de décisions purement électoralistes. Aujourd’hui, avec ce dossier, c’est le service public qui est malmené.
Restons Vigilants