Pierre Garzon, maire de Villejuif, et son équipe fidèle préfèrent le confort de la commémoration à l’enquête et la curiosité libres pour l’histoire.
Usant et mésusant de ce qui est devenu – malheureusement – un slogan, Pierre Garzon aime laisser aller ses discours vers la pente douce et assurée du fameux « devoir de mémoire ». Petite formule tranquille qu’il use pour se permettre tous les raccourcis, toutes les approximations volontaires et calculées.
On peut en trouver un petit exemple, dans le dernier Villejuif Notre Ville, d’octobre 2022, en page 8. On peut y voir un jeune homme qui semble plaider pour une meilleure et plus large connaissance historique. C’est la date du 17 octobre 1961 qui au centre du propos et comme résumée en trois phrases attribuées à ce jeune villejuifois : « Il y avait une guerre, des manifestations d’Algériens en France. Ils voulaient leur indépendance. Les policiers les ont poussés dans la Seine ».
On le sait, ce crime d’état – l’expression s’est progressivement imposée dans la communauté des historiens – est celui de la répression sanglante de manifestants algériens venus à l’appel de la Fédération de France du FLN protester contre le couvre-feu et l’interdiction de circuler après 20 heures « pour les Français musulmans algériens.
Chaque année, le parti communiste de Villejuif ne manque pas de commémorer cette date. Et la date de parution de l’article ne doit rien au hasard : il s’agit bien de l’agenda politique habituel du parti communiste de Villejuif.
Mais évidemment le PC de Villejuif le fait à sa manière. C’est-à-dire avec toute la puissance de l’oubli volontaire de tout ce qui viendrait ternir l’image d’une organisation politique qui se veut impeccable. A l’heure de la tentation communautariste, chacun doit comprendre que le PC se serait toujours tenu du « bon côté ». Qu’il aurait toujours été un défenseur sans faille et sans tâche des militants du FLN.
Et pourtant.
C’est d’abord oublier que d’autres organisations politiques ont su plus tôt et plus franchement s’engager pour l’indépendance de l’Algérie. C’est dès le 1er novembre que le PSU organise une manifestation contre la répression sanglante du 17 octobre.
C’est aussi oublier qu’une date est aussi une époque. Et qu’en l’occurrence, cette période est faite d’autres dates qui conduisent à percevoir différemment les événements et à sortir des caricatures simplistes.
Le 12 mai 1956, par exemple. Une date jamais évoquée par le parti communiste de Villejuif et qui pourtant est bien significative. Elle correspond au vote à la Chambre des députés des pleins pouvoirs, plus exactement les « pouvoirs spéciaux » à Guy Mollet. C’est grâce à ce vote qu’il pourra organiser « légalement » la répression en Algérie. Or prenant part à ce vote, ce sont bien 146 députés communistes qui voteront « pour » et s’associeront donc à cette politique que l’on présente comme un effort de « paix »…
Et le 18 ou le 19 octobre 1961… ? Pourquoi ne pas évoquer ces dates ? Elles correspondent pourtant à un moment lui aussi significatif. Tout simplement, le moment où la direction du parti communiste refuse d’organiser ou de participer à toute manifestation nationale de protestation contre ce qui s’est passé le 17 octobre… La réaction, dans ce camp, se cantonnera à l’appel des Temps modernes, signé par des intellectuels sans véritable soutien de la direction du Parti communiste.
Ce n’est donc pas rendre justice aux historiens que d’instrumentaliser aussi bêtement et cyniquement une histoire aussi complexe et aussi douloureuse. Et ce n’est pas rendre justice à la jeunesse de Villejuif que de l’embarquer et finalement de lui faire endosser ces demi-mensonges et ces oublis volontaires et calculés.
Alors que les historiens ont justement montré tout l’intérêt de cette date du 17 octobre 1961 parce que, par bien des aspects, elle condense toute la complexité d’une époque – Pierre Vidal-Naquet a pu qualifier d’« énigme » cet événement tragique parce qu’il se produit à un moment où, même au plus haut niveau de l’Etat, l’indépendance algérienne apparaît comme inéluctable -, Pierre Garzon et son équipe préfèrent les résumés sélectifs à demi fondés, l’histoire pour les nuls en quelque sorte, et finalement préfèrent tenter la carte de la « rente mémorielle » au prix d’épouvantables simplifications. Au prix de l’histoire même.
Restons vigilants