La sclérose du PC de Villejuif ou « l’anti-impérialisme des idiots »

Conseil municipal extraordinaire du 22 mars - soutien Ukraine

Ce mardi 22 mars a eu lieu un conseil municipal extraordinaire. Son objet unique était de voter en urgence une aide financière aux associations mobilisées localement pour soutenir les ukrainiens et pour accueillir des réfugiés ukrainiens.
Ces subventions exceptionnelles à diverses associations et quatre ONG (Secours Populaire, Croix rouge, la Protection civile et le Comité français de l’UNICEF) ont toutes été votées à l’unanimité. On ne peut que s’en féliciter.

Mais, une nouvelle fois, cette séance a aussi donné l’occasion au parti communiste de Villejuif de faire la preuve de son dogmatisme et de son incapacité à comprendre les problèmes d’aujourd’hui.

C’est Guillaume du Souich – conseiller municipal délégué à la Politique culturelle, aux Relations internationales, aux Anciens combattants, aux Devoirs de mémoire et Education populaire à la culture de la paix – qui s’est exprimé au nom du groupe communiste.

Alors que dans son discours du 1er mars, Pierre Garzon, maire de Villejuif, n’avait évoqué la Russie que pour mieux affirmer la responsabilité des Américains et de l’OTAN dans le conflit ukrainien (voir notre article), Guillaume du Souich a lui réussi le tour de force de prendre la parole sur le même sujet sans prononcer le nom de Poutine, sans dire un mot de la responsabilité pleine et entière de l’état russe.

Mieux. Soucieux de nous aider à saisir « les éléments cruciaux pour la compréhension de la situation présente », il n’a su évoquer que « l’utilitarisme », les « logiques d’exploitation », et « l’hyper concurrence mondiale » pour finalement n’accabler que l’OTAN et la France.

Extraits de ce discours stratosphérique :
« Je ne vais pas faire ici l’analyse de la géopolitique du blé ou de l’annonce de la modernisation de l’ensemble des missiles à charge nucléaire disséminés dans les cinquante bases américaines en Europe sous l’égide de l’OTAN, ni de l’augmentation continue des dépenses militaires dans le monde ces vingt dernières années, le tout étant à mettre en parallèle avec l’absence de financement des grands programmes de coopération adoptés dans le même temps et liés aux engagements d’aide au développement sans cesse contournés. Ce n’est pas le lieu, même si je déplore que ces éléments cruciaux pour la compréhension de la situation ne trouvent pas suffisamment d’échos dans notre collectivité nationale. »

Guillaume du Souich poursuit alors en pointant « l’idéologie utilitariste » muée en « logique d’exploitation » et « d’hyper concurrence mondiale » qu’il dénonce comme la « ligne dogmatique choisie par l’Etat français » qui instaure « l’exclusion dans tous les domaines du vivant faisant ainsi le lit de la guerre dans nos esprits, malgré les leçons de nos anciens. »

Et félicitant le maire d’avoir inscrit au fronton de la mairie « Cessez-le-feu en Ukraine sans préalable » il précise :
« Ces mots ont été un grand réconfort pour les villejuifoises et villejuifois dans la violence dont nous accusons tous le coup porté à nos certitudes. C’est le premier rôle que nous avons : faire entendre notre confiance inaltérable dans ces certitudes, la force du droit et les valeurs d’humanisme. Les certitudes indispensables dont [le maire] est le digne représentant au sein de notre collectivité locale. »

Au-delà du caractère indigent et quelque peu délirant de ce discours – les abstractions convoquées les unes après les autres devant dissimuler l’incompréhension des faits -, on peut se poser une question simple ; celle de savoir de quelle(s) certitude(s) il s’agit ?
Quelles sont ces certitudes qui doivent faire l’objet de notre « confiance inaltérable » et dont le maire est « le digne représentant ».

Il semblerait que cela face directement référence à la « position » défendue par Pierre Garzon et Alain Rouy le 1er mars ; celle qui consiste à qualifier de « va-t-en-guerre » toutes celles et tous ceux qui affirment nécessaire de soutenir la résistance ukrainienne, celle qui entend dénoncer la responsabilité ultime et première de l’occident et du capitalisme, celle qui consiste à ne faire aucune différence entre les démocraties occidentales et la dictature de Poutine, aucune différence entre la souveraineté d’un Etat et une politique impériale.

Cette « position » n’exprime finalement qu’une confusion. Et c’est contre ces esprits confus que récemment Etienne Balibar a du devoir affirmer qu’en l’occurrence « le pacifisme n’est pas une option » ; « l’impératif immédiat, c’est d’aider les Ukrainiens à résister. Ne rejouons pas la “non-intervention” »1.

Mais comment expliquer cette présente position de « non-intervention » ? Est-ce là le signe d’une conversion des communistes villejuifois aux principes intangibles de l’antimilitarisme et du pacifisme absolus qui mènent à refuser en principe et par principe tout effort de conflit armé quelles que soit les circonstances ? Même sous la forme de la légitime défense ? Même sous la forme de la résistance ?

Non.
Il y a autre chose. Et cette autre chose est plus simplement la sclérose du parti communiste de Villejuif.
Fondamentalement en effet, tout ce que Pierre Garzon, Alain Rouy ou ici Guillaume du Souich défendent c’est qu’il existe un ennemi principal : le « système capitaliste ». Qu’il n’existe donc et qu’il ne saurait exister qu’un seul ennemi véritable. Ennemi que l’on peut appeler selon les circonstances, « Etats-Unis », « Occident », « capitalisme financier ». Et la désignation de cet « ennemi véritable », qui doit être perçu comme le seul responsable de « l’esprit de guerre », empêche de condamner tous ceux qui, quels qu’ils soient, s’opposent à lui ou se trouvent en conflit avec lui.
Là réside l’aveuglement dogmatique du PC de Villejuif.

C’est cette « position » que deux philosophes ont récemment appelée le « campisme » :
« Qu’est-ce que le campisme ? C’est la bêtise politique aux effets les plus sinistres qui consiste à penser qu’il n’y a qu’un seul Ennemi. On le définira comme un antiimpérialisme à sens unique. De l’unicité de l’Ennemi découle la conséquence imparable suivante : ceux qui s’opposent à l’Ennemi ont droit sinon aux bénédictions, du moins aux excuses, selon le principe que les ennemis de l’Ennemi sont, sinon des amis, du moins des « alliés objectifs » dans un juste combat.
[…]
Le campisme de gauche postule que les peuples n’ont pour seul ennemi que le « capitalisme », « l’impérialisme américain », « l’Occident », le « néolibéralisme », voire « l’Union européenne », selon les cas et les différentes désignations en usage. »2

Où sont alors passé les combattants de la liberté ? Où sont passés les brigades internationales que l’on aime célébrer uniquement pour dire – certes, à peu de frais pour ceux d’aujourd’hui qui s’en servent – que nous étions du bon côté ?

Mais aujourd’hui ? Aujourd’hui, ces impostures intellectuelles ne se réduisent qu’à une seule chose : « l’anti-impérialisme des idiots », selon l’expression de Leila Al-Shami. Elle désigne ceux qui, à propos de la Syrie, étaient incapables de dire un mot à propos des massacres effectués par des Russes ou des iraniens au prétexte qu’ils agissaient contre le seul ennemi possible, les Etats-Unis et ses alliés.

Cette « bêtise », parce qu’en définitive, il s’agit bien de cela, est arrogante tant elle se dit avec aplomb, avec emphase et qu’elle s’affirme au nom de tous.

Eh bien non.
Tous les villejuifois ne sont pas assez idiots pour ne pas savoir l’entière responsabilité de la dictature de Poutine dans ce conflit atroce. Tous les villejuifois ne sont pas assez bornés pour croire que critiquer sans appel le régime de Poutine et sa guerre monstrueuse en Ukraine c’est nier les failles de notre système économique.

C’est d’ailleurs semble-t-il ce qu’ont tenu à affirmer les groupes verts et socialistes durant ce même conseil municipal. Certes, leur propos ne s’est pas fait critique frontale et explicite du PC. Mais même à demi-mots la mise au point est rude et amplement justifiée.

Alain Lipietz, pour le groupe des écologistes, après avoir rappelé justement le précédent des bombes de Poutine et de Bachar al-Assad en Syrie a invité à prendre la mesure historique de ce qui se passe en Ukraine :
« Kiev, Karkiv, Marioupol, seront pour nos générations ce que fut pour nos grands-parents l’avertissement de Guernica écrasée par les bombes nazis durant la guerre d’Espagne. Le Donbass rappelle ce que fut pour nos grands-parents l’annexion des Sudètes. Il faut le répéter avec force, le régime de Poutine est une dictature qui a adoubé Marine Le Pen comme son correspondant en France et nous devons soutenir aussi la résistance des démocrates russes. »

Pour le groupe socialiste, Sylvie Mantion a tenu à rappeler des faits qui rendent intenable la position du parti communiste de Villejuif :
« Dans ce conflit, notre responsabilité est double : soutenir les actions de solidarité ainsi que porter un discours politique clair sur les responsabilité de cette guerre. Vouloir la paix ce n’est pas abdiquer devant l’oppresseur mais c’est au contraire refuser l’oppression. Rappelons à ceux qui portent des discours opaques ou ambigus face à un régime totalitaire qui mettent insidieusement sur le même plan la responsabilité du régime russe avec celle des démocraties occidentales que la culpabilité et la responsabilité de l’invasion d’un pays souverain est le seul fait de l’envahisseur. »

Restons vigilants

1 Etienne Balibar, « Le pacifisme n’est pas une option », Mediapart, 7 mars 2022

2 Pierre Dardot et Christian Laval, « Réinventons l’internationalisme », Entre les lignes, 23 mars 2022

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